• LES SEQUENCES POST-HAÏTI…

    Les derniers jours…

    2 ans. Deux ans passés à arpenter ce pays, à travailler sur un projet vraiment intéressant. Deux ans à m’épanouir dans mon travail, avec ces moments de joies, des rencontres surprenantes, des découvertes insolites, des moments de peurs, des moments de coups de gueules. Deux ans à vivre à un nouveau rythme, à m’acclimater d’un pays inconnu, à épouser un nouveau mode de vie.

    Et voilà que ce temps se termine. Bizarrement, je ne suis pas nostalgique. Mon envie de parti est là. Même si parfois je ne m’en rends pas compte. Oui, je vais quitter définitivement ce pays et essayer de passer à autre chose. Je vais quitter cette vie auquel je m’y étais grandement attachée. Ma vie est ici. Mais elle sera également ailleurs. Alors je me prépare consciemment à sauter le pas. Mais inconsciemment, je reste ici…

    Je profite inlassablement de nos derniers moments sur ce p’tit bout d’île. Nous arpentons le sud et la grande anse. Avec ces galères qui font la vie en Haïti. Trois jours scotchés dans un hôtel (certes loin d’être des plus agréables, mais la facture fait mal…) pour cause d’une panne de voiture. Pièce introuvable au Cayes, il faudra alors qu’elle vienne, par le mécanicien des scouts, de Port au Prince. Alors on attend. On essaie d’en profiter un maximum quand même… Ce pays restera ce pays… Ce n’est pas parce que ce sont nos derniers instants que tout doit bien se dérouler, comme prévu initialement… On profite donc pour partir à Port à Piment pour visiter les fameuses grottes avant de retrouver la grande Anse où une belle randonnée nous attend : relier Jérémie à Dame Marie, 2 jours de marches. Moments vraiment sympa !

    J’ai fait mon temps ici. Certes, le séisme a tout changé. Souvent je me prends à penser à ma vie ici si ce tremblement de terre ne s’était pas produit. Est-ce que je serais parti ? Est-ce que les scouts, mon projet m’auraient toujours autant plus ? Tellement de choses ont changé que je suis loin de m’imaginer rester ici. J’aurais du rester jusqu’en août, mais voilà que la vie en a voulu autrement… Il y a tellement de chose qui me passe par la tête. Le séisme reste encore gravé. Une plaie qui prendra du temps avant de se refermer. Ce temps là, je le prendrais loin de ce pays. Au Pérou ? En Bolivie ? En France ? Au Cambodge ? Il me faudra un long moment pour prendre du recul et analyser ce que j’ai vécu en Haïti. Je prendrais ce temps pour mieux rebondir et mieux me préparer à la suite des événements.

    Avoir gentiment effleuré la mort me fait prendre conscience qu’on a qu’une vie, qu’il faut en profiter. Ne pas s’arrêter, ne pas se lamenter. Mais tout simplement avancer. Alors je prendrais ce temps de réflexion personnelle pour mieux digérer et avancer mieux, plus intelligemment et plus vite !

    Aujourd’hui en étant encore ici, dans ce contexte, dans ce pays, je ne peux pas réfléchir. J’ai l’impression que tout s’obstrue dès que j’y pense. Les éléments ne sont pas clairs, mon cerveau tourne à 100 à l’heure. La fatigue et le stress me rattrape. Alors à quoi bon ?  Autant prendre le temps. J’ai besoin de faire le tri, classé ranger dans mon esprit tout ces éléments qui ont rythmé ces derniers moments en Haïti.

    J’ai changé paraît-il… Ah bon ? C’est possible. Cette expérience m’a blindé, m’a appris, m’a fait découvrir, m’a formé, m’a renforcé, m’a épanouis. Et je pense en ressortir plus fort, avec ces séquelles, certes, mais toujours là et cette furieuse envie de bouffer la vie !! Ce séisme aura été un grand virage dans ma vie. Certain me disent que je suis devenu rigide, d’autres disent que je suis devenu associable, cynique, individualiste. Ou d’autre encore me disent que je suis épanoui, sérieux, professionnel, très sociable.

     

    Ça commence par un S et fini par un E

    Tout tourne autour du séisme. La moindre de mes pensées me ramène vers cet événement.

    J’entends une pompe à eau (pour faire monter l’eau du puits vers les tanks sur le toit), une pense à mon ancienne maison. Dès que le courant arrivait et que les tanks étaient vides, il fallait actionner la pompe. Des p’tits détails d’un quotidien tranquille, normal. Les petites tâches qui font aussi le quotidien. Quand je suis rentré du Pérou, le chauffeur est venu me chercher. Je l’ai déposé chez lui avant de retrouver mon chez moi. J’entre, la porte ouverte. Sur la table, je lis un mot de ma coloc’ « La porte ne ferme plus, surtout ne la ferme pas sinon, tu es bloqué. Et puis les tanks sont vides. Ce soir j’allumerais la pompe. » Je regarde par la fenêtre, le lampadaire témoin montre qu’il  y a de l’électricité. Une seconde plus tard, j’étais devant la pompe, armé de ma pince pour l’actionner. L’eau monte. Le temps de regarder mes mails avant de prendre une bonne douche, tant attendu depuis 2 jours ! Mais le destin n’a pas voulu que je prenne de douche ce jour là…

    Oui, tout me fait penser au séisme, le moindre bruit, la moindre sensation. Une odeur, un son, une image, une pensée…

    Je suis en Bolivie, continent où j’étais encore quelques heures avant le séisme. Durant les trajets, je me mets à penser, en regardant ce paysage. En me disant que j’avais vraiment beaucoup de chance d’être là, que j’étais bien loin de tout ça, loin d’Haïti. Et une fois de plus, ces dernier mots me font penser au fait que quelques mois plus tôt, j’étais sur ce même continent, à profiter avec mon frère et Younesse, un sacré moment de déconnade, de visite, de découverte, de débat, … J’étais loin de m’imaginer ce que j’allais vivre en rentrant. Mais qui pourrait se l’imaginer ?

    L’insouciance, la normalité, le quotidien, les habitudes, ma maison, mes amis, mon travail. Pendant ces vacances, j’ai pris un temps pour organiser le travail de mes derniers mois en Haïti. Tout était organisé, tout était clair, tout se déroulait parfaitement bien. J’allais rentrer voir ma coloc’, lui raconter ce périple. Et puis ma vie rependrais son cours avec ces tracas, ces p’tites tâches journalières, son stress, sa fatigue, ces moments de réussites, ces moments de déceptions. Ces cours instants où en rentrant chez toi, tu discutes avec le gardien de l’hôtel d’en face. Tu vas acheter des clopes à une marchande agréable. Tu vérifie qu’il  y a de l’eau dans le tank. Tu t’assures qu’il y a des bières au frais. Tu rentres chez toi et tu décompresses, au calme. En entendant toujours en bruit de fond ces coqs qui n’arrêtent pas de brailler ! Tu rentres chez toi comme après des vacances, ou tu déballes tes affaires, tu tries les sales et les propres. Tu redécouvres tout ce que tu as acheté là-bas. Tu t’apprêtes à allumer ton pc pour y mettre tes photos et les regarder. Voyager une seconde fois. Tu es heureux parce que tu as passé un très bon moment, tu es serein, reposé. Tu es prêt à réattaquer ton travail et un quotidien parfois pas facile. Mais tu es prêt à le faire et avec le sourire. Ton tempérament change, ta patience a pris du volume. Bref ce sentiment qui t’envahi ou tu prends conscience que tu es bien.

    C’était tout simplement ma vie, mon quotidien.

    Mais non, « Il » ne voulait pas que je termine correctement ma mission, « il » ne voulait pas que je goûte une dernière fois à ce quotidien tellement agréable et qui était le mien.

    Je dis « il »… Est-ce que je croirais en un être suprême ? Je ne crois pas. Mais le doute s’est instauré dans mon esprit… Lorsque je suis sorti de ma maison pendant le tremblement de terre, après avoir cherché les haïtiennes qui vivaient en bas de chez moi. Je me suis assis sur un agglo, mon corps tremblait, les yeux hagards devant ce spectacle atroce. Voir sa maison valdinguer de gauche à droite. Je commençais à peine à comprendre ce qui venait de se passer. Sans en mesurer les conséquences. A prendre conscience qu’il en était moins une, que j’aurais pu rester la dessous, tout aurait pu être bien pire. Alors je me suis mis à remercier le Bon Dieu. Sans y croire, mais juste dire merci à celui, à ce pourquoi je suis sorti de là vivant. Je me suis surpris moi-même devant cette scène ! Mais j’ai tout de même dis « Merci ! ».

     

    2 éléments rythment ma vie…

    Il y a autre chose. Non, parce que tout ce dont je parle ci-dessus, sont des choses qui sont éphémères, sur du court terme. Mais il y a pire…

    Deux choses : le bruit et être sous un toit… Ces 2 éléments sont quotidiens… Difficile de s’en défaire…

    Le bruit. Ce grondement sourd, qui commence doucement et qui grandit, qui paraît interminable. Comme une avalanche, comme un train, comme un poids lourd qui passe. Comme un séisme… A mon retour en France, juste après, j’étais sur le quai de métro. Je n’avais pas mangé le midi (non pas pour me donner une excuse, mais simplement pour le fait que cela a amplifié l’effet). Lorsqu’un métro est arrivé, le bruit déjà, de loin, ce grondement horrible qui s’accentue, qui se rapproche, qui grandit. Et je reste là, tétanisé par la peur, incapable de faire quoique ce soit. Et puis, c’est le sol qui se met à trembler. Exactement comme le jour J… Le sang m’est monté à la tête ; J’étais à deux doigts de tomber dans les pommes. J’ai revis le séisme à Paris, dans le métro. Tout pareil.

    Ce bruit, je le ressens encore très régulièrement, trop régulièrement. Dans le train, dans un bus, dans le métro, où tout simplement dans la rue où à l’intérieur, lorsqu’un poids lourd roule. Ce petit détail complètement banal, ces bruits qui sont ancrés dans chaque oreille de chaque personne. Des bruits que l’on juge normal, mais qui pour moi sont loin d’être banal. Il y a une histoire, derrière, une frayeur…

    En Bolivie, à Huaraz, j’étais sur le toit en fumant une clope et en buvant un café, sous une espèce de porche en tôle. Angéline était en bas, on s’apprêtait à partir. Mais la terre a tremblé. La tôle s’est mise à vibrer, doucement d’abord pour ensuite devenir plus fort. « Merde ! Ça recommence ». Je bondis et je reste là, tétanisé, impossible de bouger, impossible de faire quoique ce soit. La vibration se calme pour en laisser place à une autre, juste après. J’étais tétanisé. Cette montée de sang… Je ne veux plsu revivre ça. Surtout que vu mon comportement, j’ai l’impression, que la 1ère fois, j’ai fait le bon choix en sortant de chez moi, mais maintenant, mon corps ne réponds plus, je ne peux pas marcher, pas courir. Je ne peux qu’avoir peur et rester immobile, de terreur. Stoppé net, tétanisé. Voilà ce que je fais maintenant quand la terre tremble. Où sont passés mes bons réflexes. Ces réflexes de survie ? Je n’en sais rien. J’espère ne pas revivre ça pour ne pas à avoir  à faire ce choix. Celui de rester par la peur ou de courir pour la survie. Après ce cours épisode, il m’était difficile de redescendre en bas. J’ai pris mon courage à deux mains (après une seconde clope) avant de descendre, d’affronter cette peur. En bas j’ai ouvert la porte, pour facilité une éventuelle sortie d’urgence… Ce moment restera ancré dans mon esprit toute la journée. Je redoutais le moment d’aller dormir, de peur d’être pris par de nouvelles secousses pendant mon sommeil…

    Le lendemain du séisme (tout comme la 1ère nuit), de nombreuses répliques se sont fait entendre. Et à chaque fois, la même sensation, celle ou le corps s’immobilise, attendre pour savoir jusqu’ou ce son ira. Celle ou le sang monte, celui de l’adrénaline, la peur. Ce son est juste atroce…

    Et puis, les bâtiments… Ma plus grande hantise… Encore un élément qui est tout à fait normal, être dans une maison, être sous un toit. Mais pour moi, c’est à la limite de l’invivable.

    Depuis le 12 janvier, dans chaque bâtiment dans lequel je rentre, je me pose la question, j’y repense. Je vérifie le plafond, les éventuelles murs porteurs, les sorties, le chemin que j’aurais à faire dans l’urgence. Je réfléchis à deux fois avant de fermer une porte à clef, avant de m’endormir, je sais toujours où sont posés mes affaires les plus importantes. J’analyse tous les recoins de survie. « Tiens si je ne peux pas sortir, où j’irais me cacher ? » Et de là en re-découle toutes ces pensées… « Et si je suis là et que je reste coincé sous les décombres… ». Angéline me rassure en me disant « mais non, un ça suffit, ce ne serait vraiment pas de chance. Ce n’est pas possible ». Ce n’est pas possible… Certes, elle a raison… Mais avant de le vivre, on se dit aussi, « oh, ce n’est pas possible qu’il m’arrive une telle catastrophe, d’être là… » ou « de toute façon, ça n’arrive qu’aux autres » ou tout simplement on y pense même pas tellement ça paraît insensé, impossible (une fois de plus ce mot…).

    Et lorsque je suis dans un bâtiment qui me semble fragile, ou que la sortie est loin, alors je passe d’horrible nuit. Dure déjà de s’endormir, en pensant qu’il serait difficile de sauver sa peau. Et une fois de plus, de là, en découle toutes ces pensées horribles…

    Et puis un autre geste qui paraît tout à fait banal, la douche… J’y pense de moins en moins à ça. Mais normalement, à une minute près j’étais sous ma douche. J’y pense souvent à ça par contre… Juste l’horreur. Déjà que dans ces circonstances, on se sent nu, vulnérable. Mais alors sous la douche, on est vraiment nu et encore plus vulnérable…

    Voilà… tout ça pour dire que les choses mettront du temps avant de s’estomper dans mon esprit. Parfois, lorsque j’y pense, je n’arrive pas à être triste, je ne me sens pas bien certes, mais je me dis que je n’ai pas la réaction qu’il faudrait. Comme-ci mon cerveau, a classé ça dans la case : on oubli, ce n’était qu’un mauvais cauchemar. Cette impression de ne pas avoir vécu cet événement, tellement énorme, tellement marquant. Alors c’est là ou je me dis oui, ça m’a vraiment marqué, la route va être vraiment longue pour que mon cerveau le mette dans une case plus appropriée.

     

    La provocation

    Aujourd’hui, j’ai accompli un p’tit défi personnel. Celui de contrer la mère nature, comme un combat, comme une revanche, comme une provocation. On est allé faire les mines de Potosi, en Bolivie. Entrer dans de long tunnel archaïque, avec ces recoins. Etre dans de petit tunnel sombre, isolé, vulnérable. Déjà les fondations ne paraissent pas trop solides. Alors les pires images fusent dans mon esprit. Déjà qu’à la base je ne suis pas fan de me retrouver dans cette situation, comme claustrophobe.

    C’était ça ma revanche. Mais ce n’était pas sans mal… Dans ces tunnels, parfois debout, parfois arqué, parfois en rampant. Ou, au fur et à mesure que nous avancions on entendait les burins et marteaux frappés dans un tunnel adjacent. Et au bout d’un moment, c’est 2 détonations de dynamite qui m’ont fichu une peur bleu. Ce bruit sourd reprenait de plus belle. Vu l’état des mines on s’imagine l’état de la coordination lorsqu’il s’agit de faire sauter des dynamites… Est-ce qu’ils savaient que l’on n’était pas loin… Le manque d’oxygène, ces odeurs particulières qui empêchent de respirer m’ont fait abandonner. Obligé de revenir sur ces pas avec un autre guide et d’attendre les autres un peu plus loin, là où il y a des l’oxygène. Angéline m’a accompagné, elle avait les mêmes maux.

    Et ces images s’ensevelissements, de morte lente et horrible, d’abandon. Je me disais parfois que j’étais simplement stupide d’affronter mère nature de cette façon. Elle m’a provoqué une fois, j’ai survécu. Et là, à mon tour de la provoquer. Comme un jeu inconscient. Inconscient oui, puisque j’ai pu voir sa puissance et le jour ou elle aurait décidé, alors il me faudra une sacré chance pour résister, pour m’accrocher à la vie comme la 1ère fois…

    Mais j’ai réussi, nous avons réussi. Ce défi était aussi pour Angéline, pour d’autres raisons. Mais nous sommes sortis fier et heureux d’avoir vaincu nos peurs.

     

    Non assistance aux personnes en danger

    Je reviens, une fois de plus sur ce 12 janvier… Oui, ce moment rythme ma vie… Des éléments me reviennent, avec le temps. Des éléments que mon cerveau, a, je pense, mis de côté du fait de leurs horreurs. Le lendemain du séisme, le 13 janvier. Dès bon matin, un de mes anciens voisins nous invite à boire un café. Un moment agréable avant d’ouvrir les yeux sur la réalité, sur la catastrophe de la veille.

    Nous prenons la voiture, je prends le volant, Anne Sophie ne peut pas. Le silence est de plomb. On ne dit rien, je roule très doucement pour éviter tantôt les gravats, tantôt les gens qui ont trouvé refuges sur le trottoir. La vision est apocalyptique… Le chaos, des gravats, des cris, des gens en sang. On s’est fait arrêté plusieurs fois pour emmener des personnes dans un sale état à l’hôpital.

    Pourquoi non assistance en personne en danger ? Parce que nous n’avons rien fait. Pris personne dans notre voiture. Pourquoi ? Les choses allaient déjà tellement vite dans mon cerveau. Je ne pensais qu’à une chose. Savoir ce qui se passe et ce qui va se passer. Prendre en charge quelqu’un est une chose difficile, sachant que les hôpitaux sont détruits. Où aller ? Que faire ? Je préfère ne pas porter secours. Quand je revois ces personnes nous demandant de l’aide et nous dans cette voiture, ne sachant pas quoi répondre tellement une simple réflexion est impossible. Dire non est difficile, dire oui est impossible. Les mots ne sortent pas. Dure de refuser, délicat d’accepter et de prendre une responsabilité. Un regret que j’ai encore aujourd’hui… Le regard de ces personnes qui demandent de l’aide à tous les coins de rue. Ce regard qui en dit long, nous avons été une lueur d’espoir pour de nombreuses personnes. Mais seulement une lueur… « Quelle chance, une voiture, il va surement pouvoir sauver mon frère, mon ami, ma femme, … ». Mais non, au lieu de ça, individualiste, nous refusons et continuons. C’est horrible !! L’individualisme à ces moments là est au beau fixe. On pense à soi. Malgré être en bonne santé, avoir une voiture. Non, on préfère penser à NOTRE petit confort de vie. Savoir ce qu’il va se passer pour nous pauvre occidentaux.

    Aujourd’hui ces choses remontent, un énorme regret ! Je me sens sale. Certes beaucoup de personnes ce jour-là on penser d’abord à eux et ensuite à ces proches. Mais peu de personnes ont pensé « aux autres ». Mais cela n’est pas une raison. Si tout le monde avait aidé, même un peu, les « autres », aurait-il eu autant de mort ? Je me demande, en pensant à ce regret, où aurais-je trouvé la force de venir en aide à qui que ce soit ? Mais ces pensées malsaines sont là, omniprésentes.

    Je me dis que j’aurais pu… j’aurais pu au moins aider quelques personnes. Prendre le temps. Dans cette voiture, le trajet m’a paru une éternité (même si la distance n’était pas longue…). Nous regardions partout. Certaines personnes à l’arrière ont craqué et n’ont pas retenu leurs larmes. Ce silence dans la voiture, je l’entends encore…  lourd, pesant… Autour de nous, les premiers draps recouvrant des morts. Des cas isolés, ces cadavres qui fleurissent, là, sur des trottoirs, au milieu de nulle part. Quelqu’un a du passer par là et par respect pour un frère, lui a mis un drap et l’a laissé.

    Les personnes nous demandant de l’aide, les mains et le visage en sang… Et lorsqu’on regarde dans la court. Un tas de gravats, et encore ces maudits draps blancs, des personnes mal en point qui ont perdu un membre ou qui sont recouvert de sang à ne plus savoir ce qu’ils ont vraiment. Plus ce court trajet passe, plus la vision est insoutenable. Au-delà des gravats, des passages délicats, il y a tous ces

    morts. Tous ces cadavres recouverts ou non, tout ce sang, des personnes portant à bout de bras des cadavres, des blessés ou sur des brancards de fortune pour les plus chanceux. On a l’impression qu’eux-mêmes ne savent pas où aller, mais ils marchent pour se donner une contenance, pour avoir l’impression de faire quelque chose et ne pas sombrer. Ce que tout le monde à du faire ce jour... Ces images montrent la violence qui a secoué le pays.

    Oui, le pays est secoué, comme ces habitants. Habituellement, dans la rue c’est un vrai festival. Des bruits, des odeurs, surtout du bruit. Cette pollution sonore continuelle. La vie de la capitale haïtienne. Mais là, les gens sont stoïques, marchent, sans un bruit. Peu de voiture roule. Au loin des cris, des pleurs. Le regard désespéré de toutes ces personnes. Port au Prince est calme, Port au Prince est mort…

    Ensuite, nous  voilà arrivé au calme, loin de cette vision d’horreur. A l’Ambassade. Le changement de décor est tellement violent qu’on a l’impression que rien ne s’est passé. On retrouve nos proches, nos amis. En espérant que ce moment ne s’arrête jamais. On veut en revoir encore et encore, se dire que tout le monde est en vie. Tout le monde est là. Mais je pense tout de même à tous ceux qui ont perdu des proches.

     

    Des images d’horreurs

    Le soir du séisme, en traversant Port-au-Prince pour voir ma coloc’ et mes amis qui habitent  dans la même zone, la vision fut des plus horrible. 4hr après le séisme, il fait noir. Les premières personnes errantes se baladent l’air hagard. On marche, avec mon responsable qui était venu me chercher. Je regarde ce chaos, ce désastre. Tout est sans dessus dessous. Au moindre pas, j’ai peur de me prendre un câble électrique dans la gueule. Tout est tombé, rien n’a tenu. C’est ma première pensée. La seconde fut lorsque quelque chose m’a fait une fois de plus trébucher. « Encore une pierre ou un agglo ! » Non, cette fois ci, c’était plus souple. Je baisse mes yeux au sol. Un pied. Un pied qui dépassait d’un tas de roche. Un pied inerte… Voilà ma 2ème vision. Il va y avoir beaucoup de mort… Cette introduction à ce que j’allais voir durant ces prochains jours me terrifiait. Cette image me reste encore à l’esprit. Un pied.

    Le lendemain n’était pas à hauteur de ce que je pensais. C’était pire. Lorsque l’on a pris la voiture pour aller à l’aéroport chercher les secouristes français, on allait traverser toute la ville et (enfin) voir, constater, pleurer, observer. Le tout dans un silence de plomb… Le décor était juste horrible. Toutes ces maisons à terre, tous ces gens errants, tous ces cadavres. Le bruit ambiant est un mélange de silence pesant et de pleurs. Et puis ces gens parfois inerte, parfois vivant. Parfois à nu, parfois recouvert d’un drap blanc. Je me souviens, que dans notre trajet, en contemplant Port au Prince et en se perdant, ne reconnaissant plus cette ville, on est passé devant le carrefour de canapé vert. Cette place est tellement grande qu’ils ont décidés d’en faire un cimetière géant. A même le bitume… Une fois de plus, les plus chanceux étaient recouvert d’un drap et pour les autres, laissé pour compte… Et ces gens devant. Non, il ne contemplait pas ce triste spectacle, il recherchait leurs proches. Les plus courageux y mettait leurs mains pour soulever ce tas de chair inerte. Cette scène m’apparaît maintenant au ralenti. Alors que nous faisions que passé rapidement en voiture, la route étant (pour une fois…) dégagé. Juste horrible. Nous occidentaux avons l’habitude de voir ça à la télé, aux infos ou dans les films. On se sent vacciné par ces images. Mais la réalité en est tout autre. Voir cela de ces propres yeux est un « spectacle » horrible, qui prend au tripe et qui reste ancré. Longtemps, très longtemps…

    Durant toute cette journée je ne vis que ça. Mais bizarrement, j’ai l’impression que mon cerveau a fait le tri, une fois de plus. Il fallait que je sois concentré pour faire ce pourquoi j’étais sur cette route. Ne pas me laisser aller par ces sentiments. L’impression d’être insensible a ce que je voyais, comme si je ne comprenais pas, tout en comprenant et trouver ça normal. En voyant l’étendu des dégâts je ne pouvais que croire a un désastre également humain. Mais en essayant d’oublier, ces moments remontent plus tard. Ces images ne me reviennent pas souvent à l’esprit mais elles sont là, ancrés…

     

    « Tout bouge autour de moi » - Dany Laferrière

    C’est un livre qui a été écrit par un grand écrivain haïtien juste après le tremblement de terre. Evénement qu'il a également vécu. J’ai relevé quelques passages qui me semblaient intéressants.

    La minute

    « Tout cela a duré environ une minute. On a eu à peine huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou y rester. Très rares sont ceux qui ont fait un bon départ. Même les plus vifs ont perdu trois ou quatre précieuses secondes avant de comprendre ce qui se passait. Haïti a l’habitude des coups d’états et des cyclones, mais pas des tremblements de terre. Le cyclone est bien annoncé. Un coup d’état arrive précédé d’un nuage de rumeurs. […]. On ne réagit pas tous de la même manière. De toute façon, personne ne peut prévoir où la mort l’attend. […]. »

    Oui, la minute… J’ai perdu un ami pendant le séisme. Pour la p’tite anecdote. Un volontaire qui cherchait un appartement, était bien intéresser pour vivre avec nous. Mais il a choisit un autre appartement. Appartement qui lui a donné la mort… D’après les voisins, le bâtiment s’est effondré moins de 10 secondes (sur 35) après le début du séisme. Il habitait au 4ème étage. Même si il avait fait le bon choix, il n’aurait pas survécu. Dans les décombres, il a été retrouvé dans son canapé, le téléphone à la main. Une poutre du toit l’aurait tué sur le coup.

     

    Bruits sourds

    La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. Soudain, on voit s’élever dans le ciel d’après midi un nuage de poussière. Comme si un dynamiteur professionnel avait reçu la commande expresse de détruire la ville entière sans encombrer les rues afin que les grues puissent circuler. »

     

    La salle de bains

    J’imagine l’effarement de ceux qui étaient dans la salle de bain au moment des premières secousses du séisme. On a tous été pris de court, mais ceux qui se trouvaient sous la douche on dû vivre un moment de pure panique. On se sent toujours plus vulnérable quand on est nu, surtout couvert d’eau savonneuse. Un grand nombre de ces gens, dans leur précipitation, sont partis en oubliant de fermer le robinet.

    A environ 3 minutes près, j’étais dans cette situation. Lorsque je suis rentré chez moi, je devais faire monter l’eau dans les tanks, qui étaient vides. Une fois remplie, je suis redescendu pour éteindre cette pompe avant de remonter finir d’écrire un mail et aller sous la douche… Alors oui, j’imagine ce moment de pure panique…

     

    La gestion du temps

    Ce fut si soudain/ Et d’une étrange brièveté. Pas plus d’une minute, et chaque seconde semble autonome. Il a fallu parfois jusqu’à dix secondes pour reprendre ses esprits et se décider à réagir. Certains sont restés figés. D’autres ont continué à s’intéresser à ce qu’ils faisaient. Une façon denier l’événement. D’autres encore perdaient un temps fou à ramasser des choses précieuses à leurs yeux. Après dix secondes, on était dans la zone rouge. Déjà trop tard après  vingt secondes – je parle dans le cas où l’on pouvait encore s’en sortir. L’ennemi n’est pas le temps mais les objets accumulés au fil des jours et qui nous empêche de voler.

    Je n’ai pas attendu 10 secondes, je n’ai pas ramassé mes affaires, je savais juste que ma vie était en danger ; La maintenant. Et qu’il fallait se sauver rapidement. Par contre, étrangement, je ne savais pas ce qui se passait réellement. Pas le temps de comprendre. Mais le temps de voir et de sentir cette violence. Une réaction qui m’a sauvé la vie… Par contre, ce n’est pas pareil pour d’autres personnes. Je pense notamment à Jean-Christophe, qui lui n’a même pas eu le temps de sortir… D’après les témoins, en 10 secondes (sur les 35), la maison s’est littéralement effondrée. Et pour l’avoir vu, après, cela ne m’étonne pas du tout. Il habitait au 4ème étage. Même si il avait réagit, il n’aurait pas pu s’en sortir. Alors tout ne dépend pas forcément du temps… Il a été retrouvé dans son canapé, le téléphone à la main, mort sur le coup, à cause d’une poutre… Il aurait du habiter chez moi… Mais avait trouvé une autre opportunité 2 semaines avant ce séisme…

     

    La nuit

    La plupart des gens de Port-au-Prince ont dormi, cette nuit-là, à la belle étoile. Je crois que c’est la première fois qu’une telle chose se produit ici. […] Couchés par terre, nous ressentons chaque tressaillement du sol au plus profond de soi. On fait corps avec la terre. […] Mes jambes se mettent à trembler. J’ai l’impression que c’est la terre qui tremble. […] Le séisme s’est donc attaqué au plus dur, au solide, à tout ce qui pouvait lui résister. Le béton est tombé. La fleur a survécu. […]

    Oui, je me souviendrais un bon bout de temps de cette nuit là. Pour ma part. Mon corps tremblait comme une feuille. J’avais dormi 12hr en 4 nuits. Je ne savais plus si c’était moi physiquement, si ces tremblements venaient de mon esprit ou bien si c’était tout simplement le sol. Il fallait le savoir… Autour des arbres, des mûrs, des poteaux. Il fallait le savoir pour dégager au plus vite. Mais impossible de faire la distinction entre tous ces éléments… alors j’ai installé une chaise contre une voiture. Au moins, si je ne sens plus rien. Je vais au moins l’entendre…

    Et la nuit était complétée par de nombreuses répliques. Ce sol qui bouge. Encore et encore. La terre mère, celle que l’on croit solide. Ce soir là, elle était fragile, vulnérable. Comme si elle ne voulait plus nous porter…

    Et le lendemain, nous regardions Port-au-Prince avec l’air hébété de l’enfant dont le jouet vient d’être par mégarde piétiner par un adulte.

     

    Chez ma mère

    […]
    En fait, on est si fortement ébranlé que cette peur nous habitera longtemps encore. La mort sera toujours présente. Je m’attendais à une ambiance de tristesse, et je sens plutôt là une sorte d’ivresse. Les graves problèmes d’aujourd’hui effacent les angoisses mineures d’hier. L’impression que nous avons enfin atteint le fond et qu’on ne peut que remonter. Et puis, il y a aussi la simple joie d’être encore en vie.

     

    Le premier bilan

    Dès le matin, on se réunit pour un bilan de la situation. On ne peut continuer dans cette léthargie. La planète a les yeux sur Port au Prince. Ces images de destruction absorbent l’énergie des gens partout dans le monde. Bilan de la situation. Les radios ont repris timidement et crachotent l’horreur. Internet fonctionne par intermittence – avec des fenêtres de dix minutes pas plus. Les téléphones ne marchent pas encore. On a l’impression que cela s’est passé il y a mille ans. Nous n’avons pas encore assimilé la gravité de la situation. Même moi qui ai vu des morts. Je n’ai pas osé en parler aux autres. On dit des chiffres. C’est si abstrait : cent mille ou deux cent mille. On augmente ou on retranche de dix mille morts, comme si chaque mort ne méritait pas une attention particulière. Tout cela, bien sûr, pour éviter de perdre la tête.

     

    Une ville calme

    Finalement on n’a pas eu ces scènes de débordement que certains journalistes (ça fait vendre) ont appelées de leurs vœux. J’imagine les premières pages si les pillages s’étaient multipliés. Et les commentaires du premier venu sur un pays de barbares. Au lieu de cela, on a vu un peuple digne, dont les nerfs sont assez solides pour résister aux plus terribles privations. Quand on sait que les gens avaient faim bien avant le séisme, on se demande comment ils ont fait pour attendre si calmement l’arrivée des secours. De quoi se sont-ils nourris durant le mois qui a précédé la distribution de nourriture ? Et tous ces malades sans soins qui errent dans la ville ? Malgré tout Port-au-Prince n’a pas perdu son sang-froid. On les a vus se mettre en rang pour recevoir les bouteilles d’eau distribuées dans les bidonvilles. Ces endroits, il y a quelques mois seulement, que l’on considérait encore comme des zones sensibles où l’Etat était incapable d’assurer la loi. Que s’était-il donc passé ? A quoi devait-on attribuer ce changement ? Etait-ce le choc que ce pays attendait pour réveiller et arrêter cette chute vertigineuse ? Il faudra attendre encore un peu pour connaître le véritable impact de cet événement sur le destin d’Haïti. En attendant, apprécions ce calme. Surtout quand on sait que des explosions d’un autre ordre sont à venir.

     

    Les 3 catégories

    On n’a pas idée de ce qui nous attend dans les prochaines années. Les gens, comme les maisons, se situent dans trois catégories : ceux qui sont morts, ceux qui sont gravement blessés, et ceux qui sont profondément fissurés à l’intérieur et qui ne le savent pas encore. Ces derniers sont les plus inquiétants. Le corps va continuer un moment avant de tomber un beau jour. Brutalement. Sans un cri. Car ils auront refoulé à l’intérieur d’eux tous les cris. Ils vont imploser. En attendant, ils donnent l’image d’une personne en parfaite santé. Une sorte de bonhomie alliée à une grande énergie. Un bonheur d’être. Ils ont pu mettre une distance entre eux-mêmes et ces images qui les habitent. Ils en parlent parfois avec une lueur joyeuse dans les yeux. Comment font-ils ? Justement, ils ne font rien. On ne peut pas échapper à ça. Ça, c’est trop fort. On ne peut pas avoir vécu ça et continuer son chemin comme si de rien n’était. Ça vous rattrape un jour. Pourquoi l’appelez-vous  « ça » ? Parce que ça n’a pas de nom.

     

    Un mouvement continu

    Mon inquiétude durant la deuxième nuit – quand j’ai compris que je n’étais plus en danger – concernait les séquelles. Pendant combien de temps mon corps allait ainsi rester en alerte ? La première nuit, couché à même le sol, je ressentais toutes les vibrations. Je faisais corps avec la terre. Cette terre si vivante qu’elle bougeait sous nos pieds, nous faisant danser contre notre gré. Je paniquais à l’idée d’avoir absorbé une dose d’anxiété si forte qu’elle aurait pu s’incruster dans ma chair. J’avais vu juste, car plus d’un mois après le séisme, je ressens toujours aussi vivement ces soubresauts que durant le tremblement de terre. Cette information s’est-elle logée dans mon esprit ou dans mon corps ? J’aimerais savoir qui déclenche la panique chez moi. Ma tête ou mon corps ? Et que dire de ceux pour qui le cauchemar continue toujours ? Ceux qui sont restés piégés sur l’île ? Il faudrait multiplier par cent cette situation que j’ai décrite pour avoir une idée de ce qu’ils endurent. L’autre soir, je soupais chez des amis à Montréal quand j’ai senti les mêmes vibrations qu’à Port-au-Prince. Légères d’abord, puis de plus en plus intenses, pour découvrir que c’était mon voisin qui frappait son genou contre le pied de la table – un tic nerveux. Il m’est arrivé d’être dans un bureau à Paris et d’avoir la nette sensation que tout allait s’effondrer en quelques secondes. Et plus l’immeuble semble solide, moins j’ai confiance. Là, en ce moment même, tandis que j’écris ces lignes, la chaise vient de bouger. Et ma raison s’est enfuie.

     

     

     

    En vrac…

    Depuis hier, j’ai perdu la notion du temps. Je sais maintenant qu’une minute peut contenir une vie humaine. Une densité nouvelle pour moi.

    […] (En parlant de la presse). Je tente de récupérer des émotions et des sensations si subtiles qu’elles ne peuvent intéresser la presse, plus friande d’éclats. Une grande partie de la vie se consume dans l’attente. La caméra a de la difficulté à capter les passages à vide. Les corps immobiles. Les regards éteints. La douleur silencieuse. Les joies sereines. La vie ordinaire. Cela exige un temps dont la télé, toujours pressée, ne peut disposer.

     

    Haïti a besoin d’énergie nouvelle et non de larmes.

     

     

    Haïti, résumé de 2 ans…

    Faire le bilan de 2 ans de vie à l’étranger n’est pas chose facile… Il s’est passé tellement de choses.

    Je suis arrivé en mai, timide, la boule au ventre. Près pour la découverte et l’imprévu, mais ce sentiment de ne pas être chez moi, qu’il faudra du temps pour que je puisse avoir des repères. Je découvrais également mon travail grâce à un autre volontaire français. Ce qui rendait les choses à la fois facile puisse qu’il connaissant très bien la structure et le terrain mais à la fois difficile puisqu’il connaissait trop bien le terrain, parlait la langue et maîtrisait tout un tas de choses. Je me sentais ridicule, tout petit à ces côtés…

    Mais je faisais mon trou, chaque jours, petit à petit. Le temps passait et je prenais du volume. L’adaptation s’est vraiment bien déroulée. En douceur ! Une vie qui commençait bien. On bossait la journée, on sortait le soir avec d’autres volontaires, entre nous ou tout simplement en restant chez nous à refaire le monde autour d’une bouteille de rhum… Et puis de temps à autres des formations en province, des week end improvisés. On prenait du bon temps tout en se faisant plaisir. Avec un week end prolongé dans le centre et la découverte (horrible !) de la République dominicaine.

    L’autre volontaire est parti en même temps qu’Elise arrivait, en septembre. Nous avons déménagé. Oui parce que le truc dans lequel j’avais fait les premier mois était juste affreux. 2hr d’électricité par jour et 30mn d’eau courante. Le nouvel appartement était juste idéal. Grand et avec piscine.

    La découverte d’Haïti pour Elise. Des moments sympas comme vraiment pas facile. On a bougé à droite à gauche. Profitant des peu de moments ou je ne travaillais pas. Le nord, où nous avons passés le jour de l’an. Et un sacré beau voyage à New York, en mai.

    Entre temps nous avons dégusté une « bonne saison cyclonique ». 4 qui ont traversés le pays et un qui a été très bien ressenti à Port au Prince… Une bonne frayeur. Les premiers aléas du pays, resté 2 jours cloitrer chez soi en écoutant la radio, avec un vent à tordre complètement les palmiers ! Avec les scouts nous avons fait 4 mois d’intervention. 2 différentes. 4 mois à courir partout, à dormir peu, à être complètement stressé. Mes 4 premiers mois d’urgence. Fort en émotion, en stress, en angoisse. Faire des aller-retour entre PAP et le lieu d’intervention. Bref, éprouvant mais très formateur. Je me suis retrouvé parachuté dans le rôle de coordinateur nationale. La grande classe. Ce fut vraiment bien. De l’action, être la tête dans le guidon. Se dépasser une bonne fois. Oui, là, en effet, j’ai eu ma dose de surpassement… Ça a duré de septembre à décembre, 5 mois après mon arrivée. Ça m’en a valut un palu : 3 jours horribles et une semaine pour s’en remettre !

    Je continuais mon parcours, mes découvertes. Le temps s’était déjà écoulé et voilà que je fêtais mon 1er anniversaire dans ce pays.

    L’été arrivait et les choses s’envenimaient avec Elise. Ce n’était plus la même chose. Pas la vie que je voulais. Je me sentais de moins en moins heureux et elle de plus en plus mal. Je me suis accroché durant les moments de ces crises. Mais j’accumulais tranquillement, ma patience commençait à me lâcher… Entre le pays parfois stressant, le travail fatigant, et une vie de couple difficile. Les choses n’étaient plus les mêmes… Elle est partie tout l’été pour un job en France. Et durant son absence. J’ai pris la tangente… J’ai rencontré quelqu’un. Une personne avec qui la vie est différente. La vie comme je me l’imagine avec quelqu’un. La perfection n’existe pas ? Hein ? Eh bien, j’ai un gros doute là-dessus ! Bref. Une découverte inattendue, imprévue, spontanée, rapide, surprenante. Un vrai bonheur. Bizarrement, je me suis lancé dans cet imprévu. Et malgré les prises de têtes durant plusieurs mois, je suis ravi du choix que j’ai fait. Durant cette période, je lui avais dit que je n’étais pas bien, que des doutes m’envahissaient, que je ne savais pas si elle devait revenir en Haïti. Mes pensées allaient vers cette charmante demoiselle. Alors elle a pris la décision de revenir quand même, avec un nouveau job.

    Et pendant ce temps… La vie continuait, et mon travail avançait. Durant cet été, avec le boulot, on avait un programme chargé : des formations aux 4 coins du pays, 5 équipes de jeunes scouts a géré et tous ces problèmes personnels. Un été chargé. Mais la présence d’Angéline me faisait un bien fou. On arrivait à se voir, après cette étrange découverte à PAP. Elle est revenue pour qu’on aille faire un week end à Jacmel, dans le sud (Le grand virage s’est pris à ce moment…). Et puis comme par hasard, une formation, dans le nord, là où elle habite… Pour finir son bref passage en Haïti, elle a passé quelques jours avec moi. Le tout avant de se dire au revoir ou adieu… Le doute était tellement fort, tellement perturbant, tellement déroutant… Je ne savais plus.

    L’été est fini, Angéline est repartie et Elise revient. Pas facile, vraiment pas facile… On a réessayé. Mais en vain… J’ai donc vécu un p’tit temps tout seul  avant de déménager. Un petit temps en France prévu de longue date, pour le mariage de Marie (une surprise… Elle m’a fait la gueule un p’tit temps parce que je ne venais pas à son mariage ! « Erreur Marie !! Je viens mais tu ne le sais pas ! ». Merci à Céline et Mathieu pour leur accueil et leur silence ! Ce break tombait parfaitement bien. Le temps de recharger les batteries après cet été tumultueux. Et puis le temps aussi de revoir Angéline et de ne plus se dire ou penser « adieu ». Oui, la revoir à confirmer mon choix, sans retour possible. Aucun regret et juste du bonheur !

    Et de retour en Haïti en octobre, je trouves une coloc’ ! Trop cher tout seul. On déménage donc en novembre, après avoir passé pas mal de temps à chercher ensemble ou chacun pour soi. Jusqu’à se qu’on trouve une maison, pas cher, dans un quartier vivant. Une occasion ! 4 chambres, il nous fallait trouver 2 personnes ! On était comme des fous avant et pendant le déménagement ! C’était terrible de s’installer. On était trop bien dans cette maison. D’ailleurs on se disait « Mais qu’en est-ce que l’on va arrêter de trouver cette maison terrible ! ».

    L’emménagement, parfait. La vie à 2 parfaites. Tout était trop bien !! On prenait nos repères, s’organisait des p’tites soirées bien sympas ou des moments improvisés. La seule mauvaise surprise pour Anne Sophie, est que sa chambre et avoisinante a un élevage de coqs… plus d’une trentaine ! Et pas des petits poulets... non, non, un élevage de coq de combat !!! Dure pour elle, des nuits longues et difficiles… L’hiver était là et on entrait tranquillement en décembre. Mon angoisse de partir de cette vie idéale grandissait. Je redoutais la date à laquelle je devais partir. Fini la mission, fini Port au Prince, fini Haïti. Quoi faire ? où aller ? Seul ou avec Angéline… Les questions fusaient. 

    Mais le retour d’Angéline au pays a fait un joyeux rebondissement dans ma vie. On préparait la crémaillère. Une excellente soirée sur le toit de notre maison. Un barbecue réussi ! Malgré tout, cela n’égalait pas une soirée. Celle du départ de 2 volontaires. Une soirée surprise parfaite !!! Tout le monde était bien, près à faire la fête. Une ambiance comme jamais. Et tout le monde était là !! Il ne manquait absolument personne. Cet esprit de faire la fête, tout simplement était omniprésent. Bref. Après cette soirée, il fallait organiser le repas de Noël. Cela se voulait d’être un vrai repas à la française, avec un sapin et des cadeaux ! Tout le monde a joué le jeu. On a fait ça chez nous ! une soirée terrible ! Excellente ambiance !

    Avant de clôturer mon contrat. La dernière ligne droite. Celle que je redoutais de plus en plus… Je me suis payé le luxe d’un voyage. Un p’tit dernier avant de partir de cette région. Rejoindre mon frangin pour le jour de l’an au Pérou. Le voyage a duré 2 semaines. On a arpenté tout le Pérou. On a pas arrêté une seule seconde ! La rencontre était vraiment superbe !! Après un an ½ ou je n’avais pas vu mon frère. Ce fut juste énorme ! Il était accompagné d’un ami d’enfance, notre ami de la rue Ampère ! Les retrouvailles ont été fortes et largement fêtés !!

    Le retour, en janvier… Vous le savez… J’en ai tellement parlé, tellement écrit…

    Et puis, me voilà de retour en Haïti. Mi février. Je compte bien finir ma mission comme il se doit !!! Je suis retourné au pays avec la boule au ventre, la terreur de revoir ce pays et ces changements. Après avoir passé 3 jours en république dominicaine chez un partenaire, les choses ont changé. J’ai troqué ma maison contre une tente igloo. Tout confort, 3 places ! J’ai troqué mon p’tit bureau (où d’ailleurs j’y allais de moins en moins. Je préférais travailler chez moi tranquille et ne pas déguster au désordre ambiant du bureau), pour une tente marabou dans un terrain en périphérie de PAP. Le même terrain où je vivais. Le temps est passé à une vitesse incroyable !! Le feu de l’action. Le premier mois a été chargé en émotion. Il fallait monter le bureau provisoire et réunir une équipe fiable. L’intervention de 2 partenaires pour écrire un plan d’action a été des plus bénéfiques. Nous voilà avec un projet sur 5 ans et 6 objectifs… Les choses ont changés. Tout le monde voit grand !

    Je m’attèle, en me servant de tout ce que j’avais appris durant ce temps en Haïti. Je mets toutes mes compétences, toute mon énergie et toute ma hargne pour aboutir et terminer ma mission comme il se doit ! Etant donné que je vis où je travaille, ce n’était pas difficile de tout donner. Mon temps. Tout allait à l’association. Je donnais tout ce que j’avais. J’allais chez Angéline de temps en temps, dès que je pouvais pour souffler. Penser à autre chose. Sortir de ce quotidien sans répit. Ça me faisait un bien fou ! Je me ressourçais.

    Mon travail a été récompensé puisque mon projet a été accepté !! 1 000 000$. Mon record. J’ai su ça après être parti d’Haïti.

    Et je suis parti serein, après avoir passé un mois au près de ma demoiselle dans le nord. Ce mois m’a permis à la fois de me ressourcé et à la fois de revenir à mon travail, le vrai, ce pourquoi j’étais là, clôturer tout ce que j’ai fait avant le séisme. Il me fallait faire ça loin de mon quotidien, de ce camp. Sortir des activités courantes pour me concentrer. Ce fut chose faite. Je suis rentré en même temps que le nouveau volontaire pour faire un tullage et travailler avec eux avant mon départ.

    Après une semaine de vacances avec Angéline pour découvrir la dernière région encore inconnue, mon retour a été des plus surprenants. Une fête surprise pour mon départ. Il y avait beaucoup de gens. Toute la crème avec qui j’ai bossé pendant 2 ans. Des responsables de départements ont même fait le déplacement pour venir. Ce fut très solennel. Discours de chacun avec des mots remplis de gentillesse et de remerciement. Ça m’a touché. Moi qui ne me rendais pas compte de tout ce que j’avais fait pendant tout ce temps. Voilà qu’en quelques heures, je me prends tout dans la gueule. Les gens parlent. Ils disent… Et ça me fait du bien. J’ai eu la chance d’avoir une plaque d’honneur et la plus haute récompense des scouts haïtiens. Remis par le président qui n’avait jamais eu un volontaire comme moi. Cette phrase restera gravée. Non pas pour mon égaux mais juste pour résumer ce que j’ai fait, que je ne suis pas venu pour rien. Comme j’avais parfois tendance à me dire… Bizarrement, le au revoir n’ont pas été aussi fort en émotion. Une impression que je ne pars pas. Une certitude que je reverrais tout ce monde.

    Haïti est ancré au plus profond de moi. Je ne saurais l’oublier. Ces gens, ce pays, sa richesse, un vrai condensé d’émotion ce petit bout d’île. Comme on dit Haïti, on pleur en arrivant et on pleur en partant. Bizarrement aucune larme n’a coulé. Surement un signe qu’il était temps que je parte. Les larmes ne disent pas tout. J’ai beaucoup pleuré intérieurement. Pour tout ce que représente ce pays et ce temps passé. Ce temps révolu.

    Le 3 juin, me voilà parti… avec Angéline. Pour de nouvelles aventures !!! Direction Pérou/Bolivie. 2 pays que je voulais faire (ou refaire). Quand Angéline m’a dit « J’ai envie de me faire un voyage ». J’ai simplement répondu par la positive. Elle pensait que je disais ça comme ça. Des paroles en l’air pour la faire rêver. Mais mon envie de bouffer du pays est toujours là !! Alors non, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et oui, allons découvrir de nouveaux pays !!!

    Et puis je pars serein, avec un prochain job. Au Cambodge cette fois-ci. Tout s’est fait à distance. Mais tout s’est confirmé avec le temps. L’attente a été longue. Parfois je n’y croyais plus. Mais maintenant, c’est choses faites. Mon contrat est en cours de rédaction. L’objectif, Fundraiser (recherche de financement), plan de communication auprès d’une ONG qui a créé une école hôtelière. Un nouveau challenge. Pour le pays, le projet, la structure et surtout la langue !! Je vais enfin pouvoir (parce que je n’aurais pas le choix) améliorer mon anglais !! Objectif… devenir bilingue !! (Oui par ce que le créole haïtien n’est pas très répandu sur la planète !).

    Donc je m’attèle à ce nouveau projet qui me fait du bien. Ça me fait du bien d’y penser, de m’imaginer. D’avoir peur également, de cette inconnue, de cette aventure, de ces imprévus. Mais c’est cela que je recherche ! Alors une fois de plus, je ne ferais qu’une brève apparition (contre mon gré) en France avant de repartir début octobre…

     

     


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