• VOLONTOURISME OU TOURISME HUMANITAIRE

    poïpet (january 2011) 04

    Poïpet (Cambodge) 2010

    Aider ou visiter ?

    Par Vincent Dalonneau


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    Volontourisme: l'enfer est pavé de bonnes intentions

    publié dans le magazine "Là-bas"

     

    Pour en savoir plus...

    Cambodge: Le tourisme humanitaire se développe et inquiète

    Cambodia's Orphan Business


    VOLONTOURISME OU TOURISME HUMANITAIRE - « Quand allons-nous penser aux autres ? »

    SOMMAIRE


    QUELQUES MOTS POUR COMMENCER…                      

    DE QUOI PARLONS-NOUS ?
    Introduction                                   
    Les formes de tourisme alternatif                    
    La Solidarité Internationale                          
    Volontourisme ou tourisme humanitaire                 

    QUI SOMMES-NOUS ?
    Sommes-nous altruistes ou égoïstes ?                     
    Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir « sauver » l’humanité ?        

    L’IMPACT DU « VOLONTOURISME »
    La méconnaissance du milieu et du contexte                 
            Méthode simple pour tuer un village en faisant des trous dans les toits…
              Méthode simple pour faire disparaître un village avec des robinets…

    Attention aux structures d’accueil !                     
    L’équilibre des enfants                             
    Les problématiques liées à l’emploi                 
    L’assistanat                                   

    POUR CONCLURE…                                
    Avant toute chose, posez-vous des questions…             
    Mais alors, que faire ?                             



    QUELQUES MOTS POUR COMMENCER…
    Pour donner un peu plus de crédibilité à cet article, je tiens à me présenter. J’ai étudié et travaillé dans le milieu de la restauration en France. En parallèle, via mes activités associatives, j’ai eu la chance de créer deux microprojets de développement (on pourrait dire également « volontourisme », même si l’objectif n’était pas d’y faire du tourisme) en Haïti et au Burkina Faso. Le deuxième projet a donné naissance à une association qui poursuit encore son activité. Ces expériences et la gestion de mon association m’ont permis de découvrir une nouvelle passion qui allait devenir mon futur métier.


    Après avoir donné ma démission et quitté le monde de la restauration, j’ai entamé des recherches. Le but était de me former, d’acquérir les compétences nécessaires et de mieux comprendre l’environnement de la solidarité internationale. J’ai rencontré des professionnels, des structures et ONG œuvrant dans ce domaine, tout en continuant à travailler bénévolement pour mon association. Après avoir envoyé de nombreuses candidatures, j’ai compris qu’il n’y avait pas de place pour des personnes juste armées de bonne volonté, mais qu’il fallait avoir des diplômes, de l’expérience. Comme pour n’importe quel autre métier. J’en étais plus ou moins dépourvu dans ce domaine, j’ai donc essuyé de multiples refus.


    Et puis j’ai enfin trouvé une mission de volontariat (dans le cadre d’un VSI) qui m’acceptait ! Je suis parti pour deux ans en Haïti. Un projet de développement vraiment intéressant, mais le contexte du pays a voulu que je coordonne également des projets d’urgence. Ces deux années m’ont permis de mettre en pratique ce que j’avais appris auparavant, de développer mes compétences mais aussi de voir la triste réalité de ce domaine. J’ai enchaîné avec une mission au Cambodge, où j’entame désormais ma deuxième année, toujours dans le milieu du développement, et cette expérience dans un pays qui, comme Haïti, regorge d'ONG me conforte dans ces observations attristées.  


    Par ailleurs, voilà plus d’un an que j’accueille gratuitement des touristes chez moi, via un site Internet. Ils sont en général jeunes, avec une folle envie de découvertes et d’expériences extraordinaires. Ils viennent des quatre coins de la planète et ont des envies, des besoins et des passions différents. Au fil des rencontres (près d’une centaine) et des discussions, je commence à bien comprendre ce qui anime ces touristes à vouloir faire du volontourisme…

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    A force de travailler dans le milieu de la solidarité internationale, de voir ces ONG à touristes œuvrant au Cambodge et de rencontrer de jeunes backpackers et/ou volontouristes, j’ai eu envie d’écrire cet article pour vous éviter de participer à un système qui ne profite à personne, sauf peut-être à vous… Vous comprendrez que cet article n’est pas pour la promotion du volontourisme. Je vais tenter de vous faire comprendre en quoi ce système est préjudiciable. Quels sont les impacts ? Pourquoi ? Comment se rendre éventuellement plus utile ? …
     


    Sources…

    -    (1) Ritimo – Réseau d’information et de documentation pour le développement durable et la solidarité internationale – « Tourisme solidaire – introduction »
    -    (2) S. Brunel, quand le tourisme disneylandise la planète…, Article paru dans le mensuel N°174 Sciences Humaines – août 2006
    -    (3) Extrait de l’article « Non au tourisme humanitaire ou volontourisme !! » publié sur le site de Service Volontaire International.
    -    (4) www.Wipikedia.fr


    DE QUOI PARLONS-NOUS ?
    Voyager autrement, voyager intelligent... Partir jouer à l’animateur ou à l'instituteur deux semaines... Vivre une aventure bien organisée sans passer pour un touriste… Grâce aux services d'une agence de voyage commerciale ... Bienvenue dans l'industrie du "tourisme humanitaire" !

    Introduction (1)
    Le tourisme : une activité économique qui bénéficie surtout aux pays riches
    En atteignant 12% du PIB mondial et 8% de l’emploi (soit 200 millions de personnes concernées), le tourisme est devenu une activité incontournable de l’économie mondiale et ne cesse d’augmenter. En effet, le nombre de touristes est passé de  25 millions en 1950 à 700 millions en 2002, et l’Office Mondial du Tourisme prévoit 1,6 milliard de voyageurs en 2020.


    Depuis le début des années 80, les pays du Sud ont augmenté considérablement leur participation au tourisme international. Il est indéniable que le tourisme offre de nouvelles perspectives de développement et de créations d’emplois dans les régions pauvres et structurellement faibles. Sous certaines formes, le tourisme peut ainsi constituer un pôle essentiel de croissance pour nombre de pays en voie de développement.


    Cependant les pays du Nord restent les principaux bénéficiaires (compagnies aériennes, tours opérateurs, chaînes hôtelières…) et le tourisme se développe trop souvent au détriment des populations locales dans les régions d’accueil quand il est mal maîtrisé (hyper concentration des infrastructures, renchérissement du foncier, surexploitation, emplois précaires, travail des enfants, prostitution, hausse du prix de l’eau…). Si les bénéfices reviennent surtout à des acteurs du Nord, les maux du tourisme sont d'abord le lot des pays hôtes.

    Les formes de tourisme alternatif… (1)
    Tourisme solidaire, volontourisme, tourisme humanitaire, tourisme responsable, tourisme équitable.
    Au vu du développement de ce domaine, Il est apparu indispensable de mettre en place d’autres formes de tourisme qui perturbent le moins possible le système social et économique du pays d'accueil et s'inscrivent dans une perspective de développement durable. Ce tourisme dit "alternatif" met au centre du voyage la rencontre, l'échange, la découverte d'autres cultures, privilégie l'implication des populations locales dans les différentes phases du projet touristique, et une répartition plus équitable des ressources générées.
    Parmi les nombreuses propositions pour un autre tourisme, on peut distinguer divers types de formules de voyages, inscrite dans une perspective citoyenne :

    Le tourisme responsable, axé sur la connaissance des réalités locales, de la culture, des modes de vie et aussi de la situation politique et sociale de tel ou tel groupe. Il alterne en général activités culturelles et rencontres avec des acteurs locaux (associations, projets sociaux).


    Le tourisme équitable, s'inspirant des principes du commerce équitable. Il insiste plus particulièrement sur la participation des communautés d'accueil, sur les prises de décision démocratiques, sur des modes de production respectueux de l'environnement et sur une juste rémunération des prestations locales.


    Le tourisme solidaire, s'inscrivant à la fois dans une perspective "responsable" et "équitable", mais plus directement associé à des projets de solidarité : soit que le voyagiste soutienne des actions de développement, soit qu'une partie du prix du voyage serve au financement d'un projet de réhabilitation ou d'un projet social.

    Attention : méfiez vous des appellations ! Il n'existe pas de labels bien déterminés, d'où la nécessité de ne pas se fier aux appellations, que les organisateurs de voyage, le plus souvent, s'auto attribuent.
    En particulier, il ne faut pas confondre solidarité et respect de la nature. L'écotourisme ne signifie pas forcément tourisme solidaire.
    Voyons les deux domaines qui nous intéressent…



    La Solidarité Internationale
    C'est un beau mot, la solidarité. Il renvoie à des notions de fraternité, d'entraide, de partage. La solidarité peut traverser les cultures, les générations, les frontières. Elle devient alors la solidarité internationale.
    La solidarité, c'est partager, se connaître, s'accepter, se respecter mutuellement, mais c'est surtout partager des idéaux et des projets et échanger dans la réciprocité…
La solidarité "internationale", que l'on appelle parfois "le développement" et "l'humanitaire", s'applique à ceux qui sont au-delà de "chez nous", au-delà de nos frontières. C'est un partage de peuple à peuple, de société à société.


    Pourquoi être solidaire de celui qui est loin ?


    Se mettre au service de populations déshéritées est, de la part de ces nouveaux touristes, une intention louable qu'il serait malséant de critiquer. Le doute concerne plutôt les organismes qui mettent en œuvre ce type de programmes. Voilà plus de 50 ans que le milieu de la Solidarité Internationale existe, cela a permis de dégager une expérience solide en termes d'aide. Elle montre qu'il ne suffit pas qu'une action se proclame « humanitaire » pour apporter un réel bienfait à ses prétendus bénéficiaires. La bonne volonté et la motivation ne peuvent tenir lieu de compétence, sous peine d'engendrer de désastreux dommages collatéraux : populations locales enfermées dans un assistanat humiliant, perception des visiteurs comme d'intarissables « vaches à lait », succession d'initiatives sans suivi ni cohérence... (2)


    arche-rediLa solidarité Internationale est devenue un vrai métier. Ce domaine nécessite des compétences, des savoir-faire et de l’expérience. On ne s’improvise pas « humanitaire ». Ma belle-sœur suit en ce moment des cours dans le domaine du développement. Voilà ce qu’elle me dit : « C’est incroyable ! Je passe mes journées avec des professionnels et des personnes de terrain, j’apprends ce futur métier et je suis déjà désespérée. De voir à quel point il n’y a jamais UNE bonne réponse. Dès que l’on tire une ficelle, c’est cinq autres problèmes qui réapparaissent ! ».



    Volontourisme ou tourisme humanitaire
    Aujourd’hui, le tourisme, au sens propre du terme, ne nous suffit plus. Peut-être est-il trop banalisé, normalisé ? La misère que l’on peut voir chaque jour de l’autre côté de nos frontières, à travers notre télévision, Internet ou encore nos journaux, suscite des émotions ou de la culpabilité lorsqu’on prétend y aller « en touriste ».  Dès lors, des bonnes volontés s'expriment, des vocations se cherchent : l'envie de se rendre utile, de s'engager pour des causes qui en valent la peine, d'agir. D’après le Réseau Canadien de Veille en Tourisme  , les organisations de gestion de la destination (DMO), tour-opérateurs, planificateurs de congrès, hôteliers, compagnies aériennes et de croisières  répondent au besoin d’un nouveau genre de visiteurs qui souhaitent donner de leur temps, de leurs énergie et de leur argent pour aider les communautés qui les reçoivent. L’offre du tourisme volontaire dit «volontourisme» se structure et se diversifie autour de cette jonction entre le voyage et le bénévolat. Le tsunami en Asie et l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans ont donné à cette forme de tourisme une impulsion supplémentaire. Toutefois, il n’est plus nécessaire de vivre un cataclysme ou d’être dans un  pays en développement pour susciter l’altruisme des visiteurs. La culture, l’éducation, la science, l’aventure, l’agriculture, etc., sont autant de domaines où se manifeste le volontourisme, pourvu que les deux notions de tourisme et de volontariat soient combinées.


    Ce type de tourisme est plus fréquent chez les jeunes. En effet, ils peuvent prendre plus de temps à l’étranger (vacances d’été, fin d’études, stages…), ils n’ont pas un budget important (le volontourisme permet en général d’être logé/nourri) et ils se sentent préoccupés par la misère du monde. Cependant, une autre clientèle arrive sur le marché : les retraités. Ils ont du temps, un savoir-faire et une folle envie de réelle découverte. Tout ce petit monde part à la rencontre d’un nouveau pays, d’une nouvelle culture, avec une immense bonne volonté et de vraies motivations. Ils cherchent une ONG avant de partir, s’inscrivent sur des sites Internet et des forums, font appel à des agences de voyages spécialisées ou encore, une fois sur place, se mettent à l’affût de la moindre opportunité pour se rendre utile.

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    Arrivés sur le terrain avec leur programme bien établi et les contacts nécessaires, ces « volontouristes » mettent le cap sur leur structure d’accueil. « Une fois sur place, j’aurai le temps de visiter les alentours pendant mon temps libre » se disent la majorité. En général, ils sont accueillis pour 1 ou 2 semaines, dispensent des cours d’anglais ou autre, apportent des compétences qu’ils n’ont pas forcément (mais il est tellement facile de se sentir savant face aux petits pauvres sans éducation…), mettent en place des activités vraiment propres à leur domaine professionnel (mais qui n’existeront plus après leur départ…) ou encore s’amusent avec les enfants d’un orphelinat, tout simplement.


    J’ai ainsi pu voir deux jeunes Allemandes, étudiantes en université de lettres et de sciences, donner des cours d’anglais, gérer la communication d’une organisation et développer le marketing de cette même structure. Imaginez que vous soyez commercial dans l’industrie informatique et que votre patron décide que demain, votre associé sera un agriculteur… Quel sera votre réaction ? C’est identique pour la population des pays du Sud ! Ce n’est pas parce qu’ils sont pauvres qu’ils sont différents ! Le tourisme humanitaire vise à conjuguer loisirs et aide caritative. Une intention louable. Mais est-il adapté aux nécessités du terrain ? Et quelles sont les motivations exactes des organismes qui promeuvent ce type d'action ?

     


    QUI SOMMES-NOUS ?
    Nous habitons en Europe ou ailleurs, dans un pays dit du « Nord ». Nous avons notre éducation, nos systèmes, nos habitudes, nos us et coutumes, notre culture, notre histoire et notre façon de penser. Et aujourd’hui, le tourisme est ancré dans notre mode de vie. Aller à la découverte d’un autre pays, d’une autre culture. Goûter à la douce vie d’une atmosphère tropicale. Sortir de nos habitudes, de notre routine. S’évader 15 jours en août pour mieux attaquer l’année qui vient. On connait tous ça, ce besoin qui se fait sentir au bout d’un certain temps, plongé dans notre train-train quotidien. Ces sentiments nous sont devenus tellement naturels qu’il parait ordinaire de partir.

    Sommes-nous altruistes ou égoïstes ?
    Nous, pauvres occidentaux (je dis « pauvres » pour renverser le contexte, car les pays en voie de développement ont de nombreuses richesses, notamment humaines, que nous avons en partie oubliées avec le temps…), nous pensons, agissons et faisons en fonction de notre mode de vie. Nous avons tendance à regarder notre nombril, à penser constamment à nous : nos besoins, ce qui nous ferait plaisir, vivre des expériences fortes… Oui, mais pour qui ? Toujours pour soi…


    Un jour, j’ai accueilli un couple d’Américains. Ils venaient juste de terminer une mission chez les Peace Corps (réseau de volontariat américain). Il est vrai qu’aux Etats-Unis, rentrer d’une de ces missions est extrêmement valorisant d’un point de vue professionnel, notamment du fait des conditions de vie en général difficiles. Ils étaient allés en Hongrie donner des cours d’anglais. Leur comportement était incroyable : ils étaient à la fois imbus de leur personne, égocentriques et orgueilleux…  Ils m’ont d’ailleurs déclaré : « On a hâte de rentrer, les gens nous verrons autrement après ça. On devrait avoir une médaille en rentrant aux Etats-Unis ! » Comme s’ils n’avaient fait cette mission que par souci de gloire et de récompense. Un tel comportement m’a poussé à en savoir un peu plus sur leur mission… Conclusion : pérennité et suivi inexistants, pas de formation de personnes locales pour la continuité, aucune capitalisation du projet. Bref, une mission dénuée de tout sens. Sauf pour eux-mêmes…


    illu41Afin de répondre aux souhaits du voyageur moderne, l'industrie du tourisme, et du tourisme "jeunes" en particulier, multiplie les offres et les produits. Quitte à faire des pays pauvres un immense parc d'attractions où illusions, bons sentiments et merveilleux riment avec profits. Le tourisme humanitaire, ou volontourisme, n'est rien d'autre qu'une forme de voyeurisme, une nouvelle forme de racisme "positif" ("même sans qualification vous pouvez les aider : ce sont des sous-développés") et un retour au mythe du bon sauvage : "Ils sont pauvres mais tellement heureux. Ce sont des gens simples qui seront ravis de vous inviter chez eux car vous n'êtes pas, vous, un touriste".


    Ces sociétés commerciales reprennent avec succès le concept "humanitaire" pour le transformer en une marchandise lucrative, une attraction touristique à la mode : « Voir et aider les pauvres ! Une aventure inoubliable ! ». Il n'est pas rare qu'un volontaire ait à payer 700 à 2000 euros, voyage non compris, pour 2 semaines de volontariat dans un pays en voie de développement. Sur place pourtant, l'association reçoit au mieux 20 à 150 euros ... Vous avez dit 'commerce' équitable ? (3)




    Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir « sauver » l’humanité ?
    Aujourd’hui de nombreux jeunes ou moins jeunes arpentent le monde à la recherche d’une bonne action, d’un sens à donner à leur voyage. Mais pourquoi ? Par culpabilité de vivre dans un pays « développé » ? Pour vivre une expérience forte ? Pour ne surtout pas être considéré comme un touriste traditionnel (ce qui est la nouvelle mode…) ? Afin de partager des connaissances jugées utiles ? De faire le bien ? Bon… Etudions donc cela dans l’ordre… Mais avant tout, ces raisons sont bien les nôtres, non ? A la réflexion ne trouvons-nous pas ces arguments un peu autocentrés ? Égoïstes ? Individualistes ?


    La culpabilité… Pourquoi ? Avons-nous demandé à vivre dans des conditions17419480 pareilles ? Non, je ne crois pas… D’ailleurs, certaines cultures n’ont pas besoin d’apprendre le français ou l’anglais, d’avoir une cafetière électrique, des peluches ou encore une télévision… Mais nous sommes interdépendants : dans de nombreux domaines, ce qui se passe ailleurs a des conséquences ici. La misère, les guerres, les atteintes à l'environnement, les déplacements de populations : autant de problèmes qui dépassent les frontières et ont des répercussions chez nous. En retour, tout ce que nous faisons ici a des conséquences pour toute la planète. Surconsommation d'énergie, gaspillage, pillage des ressources, ventes d'armes, valorisation du profit accentuent les inégalités et mettent en danger la planète. Les écarts entre riches et pauvres se creusent. 1,02 milliard de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim. Comment accepter que des populations vivent dans une misère extrême quand d'autres connaissent l'opulence ? Et nous, nous regardons ça, devant notre écran, au JT de 20 heures en dégustant un bon plat, bien au chaud, chez nous… Il est évident que tout ceci apporte une bonne raison de vouloir agir, aider, et mettre sa bonne volonté et sa motivation au service d’un pays pauvre. Seulement voilà : la culpabilité n’est pas suffisante pour faire changer les choses dans le bon sens. Cela ne doit pas entrer dans vos motivations. Les structures offrant des « missions » de volontourisme profitent du malheur des autres pour leur communication et ainsi faire tourner leur business. Ne tombez pas dans le panneau, tout est tellement plus compliqué ! Voyons la suite…


    Une expérience forte… Certainement, mais avant de vous lancer, réfléchissez aux impacts de votre « bonne action ». Etes-vous en mesure d’assurer la continuité et la fiabilité de « l’expérience » sur place une fois que vous serez parti ? Arriverez-vous à éviter le piège de l’assistanat et le fait, éventuellement, de prendre le travail d’une personne du pays ?


    Le contraire du tourisme traditionnel… A partir du moment où l’on n’est pas chez nous, c’est du tourisme… Vous habitez Paris et allez sur la côte d’Azur, vous êtes un touriste. Et pour ça, pas besoin de porter un short, un marcel, un appareil photo collé à vos épaules et une casquette que vous portez fièrement avec le nom de votre tour opérator ! Le tourisme est le fait de voyager dans, ou de parcourir pour son plaisir, un lieu autre que celui où l'on vit habituellement, (…) (4). Comme le dit Sylvie Brunel dans un article de Sciences Humaines : « Le tourisme présente en effet un paradoxe : si tout le monde est touriste, personne ne veut admettre ce statut, considéré comme dévalorisant. Le touriste, c'est forcément l'autre. Un autre qu'on méprise et qu'on fuit. Mais ce touriste si caricaturé existe-t-il vraiment ? Il est marquant de constater que la grande majorité des touristes manifeste le désir de connaître les lieux visités. » Alors n’ayez pas honte, il n’y a aucune raison ! Assumez !


    Partager des connaissances/faire le bien… Possible. Mais êtes-vous certain qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires ? N’êtes-vous pas en train de voler le travail d’une personne qui en a réellement besoin ? Etes-vous bien sûr de faire ça dans les règles de l’art, en ayant pensé à tout ? Connaissez-vous suffisamment l’aide internationale (parce que c’est bien de ça que l’on parle !), le pays, ses us et coutumes et sa culture ?


    Aujourd'hui, les touristes ne se contentent plus de visiter un endroit en restant assis dans un autobus. Ils veulent faire de réelles rencontres, vivre des expériences humaines. On organise ce type de mission pour nos jeunes qui ne savent plus quoi faire, juste pour combler leur besoin de vivre une expérience sortant de l’ordinaire. Mais au juste, à qui profitent ces missions ? A nous bien sûr…



    L’IMPACT DU « VOLONTOURISME »
    Selon Siham Jamaa, analyste au Réseau de veille en tourisme à la Chaine de tourisme Transat de l'Université du Québec à Montréal, le volontourisme peut être une très belle aventure humaine. « C'est une expérience qui apporte non seulement aux communautés qui en profitent, mais aussi à ceux qui donnent. »
    Il est vrai que c’est une expérience hors du commun qui profite d’abord à nous et, je dirais, très peu aux autres. Pour réellement apporter une aide efficace, il faut du temps, de l’argent et des compétences. Si l’on n’a pas ces 3 éléments, alors on ne fait que se donner bonne conscience en se disant : « Mais au moins je fais quelque chose ! »


    Mais ne serait-il pas préférable de ne rien faire plutôt que d’empirer une situation ou de l’ancrer dans un environnement qui n’est pas le sien ? Voyons les incidences que peuvent causer nos « besoins d’aider » :

    1)    La méconnaissance du milieu et du contexte
    Nous avons des origines qui sont complètement différentes du pays dans lequel on se rend. Chaque région, chaque lieu, chaque zone, chaque groupe ethnique est différent. Vous ne pouvez pas vous dire : Ah oui, j’ai vu ce même projet au Burkina Faso qui fonctionnait parfaitement, faisons le même au Cambodge. » C’est un peu comme essayer de développer la pêche en pleine mer en Auvergne… Gardez en tête que les besoins mais aussi les approches, le fonctionnement et les coutumes ne sont pas les mêmes partout où vous irez.


    Vous qui avez déjà voyagé dans un pays en voie de développement, à un moment ou à un autre, vous avez surement expérimenté le fait d’être placé sur un piédestal par la population locale. La couleur de votre peau y est pour beaucoup, mais aussi le fait que vous venez d’un pays « développé », avec le réseau éducatif et les études supérieures qui vont avec. Tout ce qu’ils ne connaissent pas ou peu. On a beau dire, mais ce sentiment est omniprésent : vous êtes écouté, on vous traite en invité d’honneur… Dans un tel contexte, on perd souvent la mesure de ce que l’on est réellement. Qui n’est pas revenu d’un pays du Sud satisfait et enchanté par l’accueil chaleureux des autochtones ?


    Voici deux exemples très révélateurs de problèmes graves liés à la méconnaissance d’un environnement. Les acteurs de ces projets sont de profils différents, d’une part pour souligner la complexité à élaborer un projet à l’étranger et d’autre part pour vous montrer que les erreurs sont les mêmes, que l’on agisse seul ou dans le cadre d’une association :


    1.1.    Méthode simple pour tuer un village en faisant des trous dans les toits…
    Ce récit a fait le tour du monde : on me l’a cité en formation et j’ai pu l’entendre raconter dans plusieurs pays où je me suis rendu, par des professionnels ou non. C’est l’exemple type que l’on nous donne en formation. Réalité ou légende… Je n’ai pas la preuve formelle que cela s’est passé ainsi dans tous les détails, mais cela semble très probable, et l’histoire est de toutes façons très évocatrice.
    Un groupe de jeunes Français se lance un challenge : l’Afrique de l’Ouest à vélo, un projet et une expérience vraiment riches ! Ils partent plusieurs mois et ont prévu une longue pause à mi-parcours. Cette pause sera l’occasion de se reposer, de partager des moments forts avec la population locale et pourquoi pas de les aider.


    Le moment venu, l’équipe s’installe donc dans un village. Rapidement, le syndrome de l’homme blanc apparaît : les jeunes se sentent chez eux, complètement « intégrés » à la population, ils sont comme des rois et apportent de petites solutions à des problèmes bénins, ce qui engendre de la part de la population une certaine admiration et de la confiance. Plus le temps passe, plus l’admiration est forte et plus des liens se créent avec les habitants, à tel point que ces jeunes veulent vraiment les aider. Ils décident alors d’enquêter…


    En observant et en discutant, ils comprennent que l’enjeu principal dans ce village est d’ordre médical. Beaucoup de gens ont des problèmes de vue et de respiration. Le diagnostic des cyclistes est simple (même si aucun d’entre eux n’a de connaissances médicales particulières…) : les habitants dorment dans des huttes où ils font également la cuisine, et c’est la fumée du feu de bois qui engendre ces problèmes. L’homme blanc se sent alors maître : il a trouvé ! La solution est simple (ils se demandent même pourquoi personne n’y a pensé avant… « Manque d’éducation » sans doute) : « Pourquoi ne feriez-vous pas comme les indiens ? Faire un trou à la pointe du toit ? » L’homme blanc a trouvé une solution propre à son pays, avec son mode de pensée et son éducation. De là, la population, tellement heureuse d’avoir pu trouver une solution, se met au travail. Bien évidemment, nos jeunes gens apportent fièrement leur aide à cette entreprise !


    Mais les habitants des petits villages reculés oublient parfois d’où proviennent leurs savoir-faire et pourquoi ils font certaines choses et pas d’autres, comme par exemple, dormir en présence de fumée. Les expériences se vivent, on en tire des conclusions, on s’adapte, au fil du temps, des années, des décennies et l’on en oublie l’origine… De nombreux mois après, nos jeunes cyclistes, comme promis, sont de retour. Mais le village n’existe plus, tous les habitants sont morts ou ont fui. Pourquoi ? A cause du paludisme… La fumée du feu de bois empêchait les moustiques d’entrer. Absence de fumée = attaque des moustiques = propagation fulgurante du paludisme = décès.



    1.2.    Méthode simple pour faire disparaître un village avec des robinets…
    Cet exemple m’a été donné lors d’une formation par le responsable, en personne, de cette histoire fameuse. La preuve que des erreurs ont été commises, au moins un qui l’admet !


    Une organisation internationale arrive dans un petit village pour analyser le contexte et définir l’aide à apporter. Après de multiples visites et rencontres, leur conclusion est unanime : il faut que chaque ménage dispose d’un robinet. « C’est incroyable qu’au XXe siècle, on soit encore obligé de faire 10 km par jour pour aller chercher de l’eau ! » se dit le blanc, avec sa mentalité et son éducation propres.


    Sauf qu’en général, en Afrique, aller chercher de l’eau pour une femme est une activité sociale. Pendant le trajet, les femmes se retrouvent entre elles et se racontent leurs histoires, rient et profitent de ce moment, loin du jugement des hommes et des anciens, pour se reposer un peu d’une vie quotidienne difficile. Une fois les fameux robinets posés, les femmes n’avaient plus ces moments indispensables à leur bien-être moral. De là, les choses sont allées de mal en pis. Elles ont commencé à entrer dans une sorte de déprime, à perdre du poids (socialement, plus une femme est corpulente, mieux elle est dans son couple et dans sa vie. Perdre du poids va à l’encontre de la fierté de l’homme) et à ne plus vouloir faire l’amour. Le village s’est progressivement vidé de tous ses habitants : les hommes sont partis, et ensuite les femmes…


    Voilà des exemples flagrants de l’impact d’une mauvaise analyse. Et croyez-moi, même en ayant passé plusieurs années dans un pays à observer, à analyser, à essayer de comprendre, il y a toujours un élément important que vous ignorez encore. Par ailleurs, on ne peut se permettre de changer des coutumes, des habitudes. Nous ne sommes pas là pour montrer le chemin. A chaque pays, ses compétences et son savoir-faire. A force d’essayer de faire le bien, on en arrive à fausser les mentalités. Un exemple… Lors d’une réunion avec des paysans, une femme prend la parole. Elle a trois enfants et pour seul travail, la culture d’un bout de parcelle pour subvenir aux besoins de sa famille. Lors de la réunion, elle nous explique que son mari est décédé et que pour payer les funérailles, elle a vendu son lopin de terre, son seul et unique revenu. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Parce qu’elle est persuadée qu’une ONG va lui acheter un nouveau terrain. Pourtant, regardez ce que financent les bailleurs de fonds. Très rares sont ceux qui donnent de l’argent pour acheter des terres. Mais cette femme en est arrivée à considérer que tout salut vient des ONG, et cette illusion l’a hélas conduite à une décision catastrophique pour sa famille …



    2)    Attention aux structures d’accueil !
    Il existe dans les pays occidentaux des milliers de petites ONG qui soutiennent un projet local : école, dispensaire, parrainage... La plupart d'entre elles sont nées du désir de touristes, émus par le dénuement des populations rencontrées au cours d'un voyage, de s'engager dans une aide plus durable. Cette tendance de fond n'a pas échappé à certains voyagistes : on assiste aujourd'hui à la montée d'un tourisme qui se qualifie lui-même de « responsable », « solidaire » ou « éthique ». Pour environ 1 500 euros hors billet d'avion, certaines structures proposent aux touristes d'endosser pendant une ou deux semaines la panoplie du parfait French doctor. (2)


    Méfiez-vous de ce que l’on vous propose. Sachez qu’en général, les structures faisant appel aux volontouristes comme ressources humaines manquent cruellement des compétences internes et permanentes nécessaires pour mener un projet à bien. En travaillant pour ces structures, vous n’aidez en rien le système. Ni les bénéficiaires, ni la structure. En d’autres termes, vous encouragez les dirigeants de ces microprojets à rester sans réelles compétences et à bricoler un pseudo programme avec des volontaires venant pour 15 jours et sans expériences liées à la tâche.


    humanitaire1.jpgDans le cadre de mon travail, j’ai rencontré une Française qui faisait son stage dans un orphelinat. Lors de la discussion, elle m’a un peu expliqué son projet et son rôle dans la structure. Ce centre d’accueil avait été ouvert par une Cambodgienne vivant en France. Pendant les fêtes du Nouvel An khmer, tous les enfants étaient retournés dans leurs familles… Bizarre, non, pour un orphelinat ? En fait, cette structure, comme de très nombreuses autres, sert à subvenir aux besoins d’enfants parce que leurs parents ne peuvent le faire. L’intention est louable et le projet utile. Mais le problème de fond reste le même. Les bénéficiaires se reposent entièrement sur l’ONG : « Aaaaah, bah c’est bon, une ONG va s’occuper de mon enfant ! ». L’ONG en question manque de compétences, manque de moyens, manque de ressources humaines… Mais on reste comme ça et on fait venir des étrangers volontaires pour dispenser des cours, faire le ménage et la toilette des enfants, organiser des jeux… Beaucoup de ces structures n’ont qu’une action artificielle. Certes, elles effectuent un travail. Mais comparable à la pose d’un fragile pansement sur une amputation… Ca n’est en rien une solution ! Certaines de ces structures sont également le lieu de malversations et d’autres dérives inacceptables : trafic d’enfants, fraude à l’adoption, pédophilie… Et la majorité reste juste un moyen de faire de l’argent pour les dirigeants malintentionnés.
     


    3)    L’équilibre des enfants
    Récemment, une ONG et une agence des Nations Unies ont lancé une campagne conjointe « Les enfants ne sont pas des attractions touristiques » (ce qui est en général la réalité de toutes ces petites structures…) – Voir encadré. L’image, choquante, montre des enfants vivant sous un cube de verre, comme dans un musée, et des touristes en train de les photographier. Elle permet de stigmatiser, entre autres, la mise en avant des enfants comme moyen de communication. Cela permet d’avoir des donations (comment résister à la petite bouille de ces bambins ?), du matériel (très souvent non adapté aux réalités du terrain) ou encore de la main d’œuvre gratuite pour une journée ou plus. Mais à quel prix pour les enfants…

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    Armés pour la plupart des meilleures intentions du monde et les bras chargés de jouets, stylos ou vêtements emportés à cet effet depuis leur pays d’origine, les touristes défilent dans les centres pour enfants, qu’ils soient gérés par l’Etat ou les ONG, échangent quelques mots en anglais avec les petits, jouent un peu avec eux, font leur donation… et laissent la place aux touristes suivants. D’autres se proposent comme bénévoles, et s’improvisent animateurs ou professeurs d’anglais pour quelques jours ou quelques semaines.


    A tous ceux-là, il reste la joie d’avoir contribué au bien-être de petits Cambodgiens et la satisfaction d’avoir entr’aperçu « l’envers du décor ». Mais l’envers du décor, le vrai, c’est que l’immense majorité de ces enfants ne sont pas orphelins, que cette fascination pour les orphelinats va à l’encontre de l’action réelle, responsable et nécessaire du retour dans les familles, que la popularité du phénomène a inspiré de nombreux abus, et que dans le meilleur des cas, les enfants sont condamnés à un défilé ininterrompu de visites enthousiastes et éphémères à la manière d’animaux dans un zoo (le mot est fort mais hélas, si l’on prend en compte le point de vue des enfants, la comparaison s’impose).


     Une fois j’ai discuté avec une retraitée, américaine ou australienne. Elle enseignait l’anglais dans une école, le temps de ses vacances. 15 jours. Et d’autres retraités prenaient la relève ensuite… Aux critiques, elle se contentait de répondre : « Mieux vaut ça que rien ! ». Mais vous, seriez-vous d’accord pour que vos enfants changent de profs tous les 15 jours ? Non ? Alors pourquoi le faire ailleurs ? Parce qu’ils sont pauvres ? L’éducation n’est pas une chose à prendre à la légère ! Surtout que ces personnes n’ont jamais enseigné auparavant ! La retraitée en question savait simplement parler l’anglais… L’enseignement d’une langue nécessite également une pédagogie, du temps et des méthodes. Par ailleurs, l’école, dite d’éducation formelle, a de multiples facettes éducatives : la vie sociale avec d’autres enfants, le respect de la hiérarchie, le développement de soi,  et j’en passe. Et tout cela selon un programme précis !


    4)    Les problématiques liées à l’emploi
    Il ne faut également pas perdre de vue que le volontourisme est contestable, voire même nuisible, en terme d’emploi. D’abord parce que, dans un pays où le taux de chômage est en général important, le volontouriste prend un poste que pourrait occuper une personne locale qui connaît, elle, la culture et la langue, et qui pourrait en tirer un salaire pour faire vivre sa famille. Alors au lieu de penser à son propre accomplissement et au fait de vivre une expérience extraordinaire, mieux vaut penser aux autres et accepter de voir la vérité en face : le volontouriste est un amateur qui prend la place d’un professionnel !

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    Alors vous me direz : « Oui, mais ils n’ont pas les moyens d’embaucher quelqu’un ! ». Et le responsable de se dire : « Parfait, j’ai de la main d’œuvre gratuite ! » En effet, c’est le chien qui se mord la queue. Le volontourisme encourage les responsables d’ONG à ne pas faire le nécessaire pour se développer et disposer d’une équipe solide, professionnelle et rémunérée capable de mener réellement à bien des projets.


    Par ailleurs, le volontourisme dévalorise un vrai métier. Celui de la Solidarité Internationale. Cela nécessite un savoir-faire pour coordonner et gérer des projets, même de petite envergure. Or les responsables et les bailleurs de fonds, face à l’afflux des volontouristes, perdent le sens des réalités et veulent croire qu’ils trouveront les compétences qui leur manquent parmi cette main-d’œuvre temporaire et gratuite (ou presque). C’est ainsi qu’un jour, pour un poste de directeur de programme avec un cahier des charges nécessitant des compétences, de la polyvalence et du temps, on m’a proposé $130 par mois, « nourri/logé/blanchi ». Mon employeur en était le premier désolé, mais les bailleurs de fond n’étaient pas prêts à proposer davantage… Finalement, le poste n’a pas été pourvu : aucune personne ayant les compétences et l’expérience requises n’était dans la possibilité de travailler à ce prix. On ne travaille pas  dans ce milieu pour faire fortune. Mais comment accepter de diriger l’équivalent de toute une entreprise dans ces conditions ? Une fois de plus, c’est le chien qui se mord la queue… La main d’œuvre bénévole disponible, même dépourvue des compétences nécessaires et présente à court terme sur le terrain, représente une forte tentation pour les ONG… lesquelles, en y cédant, encouragent encore davantage de bénévoles à proposer leurs services. Bref, rien ne change et tout le monde est content… Mais les bénéficiaires ?


    Dans les faits, le volontourisme n’aide en rien une structure à se développer et à mener des projets sérieux et concrets…
     


    5)    L’assistanat
    Un jour, un jeune couple arrive chez moi pour que je les héberge quelques jours, le temps de visiter les alentours. En les aidant à porter leurs bagages, je suis intrigué par un gros sac très léger, et je leur demande ce qu’il y a dedans. « Eh bah, on a su que le Cambodge était très pauvre, alors on a apporté des peluches »…


    Trop de touristes viennent dans un pays pauvre avec la ferme intention de distribuer un stock d’objets emportés à l’aveuglette dans leurs valises : des médicaments (souvent périmés ou qui vont bientôt l’être, inappropriés ou encore sans notice…), des stylos, des cahiers, des jouets, des lunettes. Les pays du Sud seraient-ils une poubelle, pour que tout soit bon à leur donner ? Oui, certains dons en nature peuvent aider, mais il serait intelligent de se renseigner avant de remplir ses bagages. Par exemple, quels sont les besoins exacts d’une ou plusieurs structures ? Et surtout, n’est-il pas possible d’acheter ces choses sur place (on économise en poids et en volume, et en prime on fait marcher l’économie locale) ?


    A force d’apporter des « cadeaux », nous participons activement à l’assistanat. La population locale attend désormais de nous ces « distributions ». Nous pourrissons les mentalités sous prétexte d’apporter une aide… Qui, la plupart du temps, est de toute façon inadaptée. Quelques exemples véridiques :


        Lors du tsunami en Thaïlande, des Allemands s’organisent pour envoyer un container d’habits. Tout le monde est tellement touché par cette catastrophe que la collecte va bon train. Le container arrive sur place, les Thaïlandais l’ouvrent et… Surprise ! Ce ne sont que des vêtements d’hiver !


        Après le séisme en Haïti, une organisation américaine m’appelle pour faire un don : deux containers de sacs de couchage bien chauds. Je rappelle, pour mémoire, que ce pays se trouve dans les Caraïbes, avec une température minimum de 20°C en saison « hivernale »...


        Chacun de nous se souvient de l’opération « 1 kg de riz pour l’Ethiopie » organisée dans les écoles… Le riz : l’aliment des pauvres, l’aliment pour les pauvres ! Eh bien, sachez que les Ethiopiens ne mangent pas de riz mais seulement du teff.

    18165_103061993056819_100000590574034_82628_5530063_n.jpgA force d’essayer de faire le bien à toute force, on en arrive parfois à faire le mal… L’assistanat est un grave problème, et nous sommes tous en mesure de faire pencher la balance dans le bon ou le mauvais sens ! Beaucoup de pays attendent que leur destin s’améliore sous la prodigalité du monde développé. Les Chinois leur cultivent la canne à sucre, l’Union Européenne leur installe l’électricité, le téléphone ; les Japonais leur construisent des routes, les Américains leur distribuent des denrées, et de vaillantes ONG viennent implanter une nouvelle agriculture ou aménager leurs puits. Les gamins se sont habitués à recevoir stylos, bonbons et argent depuis la fenêtre entrouverte d’un 4x4, qui ralentit alors pour pouvoir photographier l’inoubliable bouille de l’enfant, si heureux avec ses cadeaux… et les adultes attendent qu’on vienne labourer leur terre… Maintenus dans une position d’assistés passifs, les habitants se font voler leur destin.

     


     

     

     

     

     

     

     

    POUR CONCLURE…


    1)    Avant toute chose, posez-vous des questions…
    En espérant qu’après cette lecture, vous avez toutes les infos nécessaires pour faire un choix juste pour vous comme pour les autres…

    Mais en cas de besoin, voici une liste non-exhaustive de questions à se poser ou à poser…
    -    Pourquoi partir et faire du volontourisme ? Pour quelles raisons essentielles ressent-on le besoin d’accomplir cette démarche ?
    -    Ne pourrait-on pas apporter son aide ici-même, en France, et de manière tout aussi efficace ?
    -    N'y a-t-il pas confusion entre envie d'aider et besoin de se valoriser, à ses propres yeux ou face au regard des autres ?
    Ou confusion entre envie de partir et besoin de s'évader ?
    -    Est-on sûr d'avoir les compétences nécessaires pour apporter une aide efficace ?
    -    Est-on suffisamment informé et préparé pour être vraiment utile ?
    -    Quelles sont les causes qui nous touchent le plus?
    -    Qui est-ce que l’on souhaite aider plus particulièrement?
    -    Connait-on parfaitement la structure avec laquelle on part? Le projet ? Le fonctionnement ? Les méthodes de communication ? L’usage de l’argent ?
    -    Si l’on part avec un organisme payant, connait-on la part qui ira directement à la structure locale ?
    -    Quelles sont nos compétences, nos disponibilités, nos motivations profondes?
    -    Quel genre de travail correspondrait le plus à notre personnalité ?


    2)    Mais alors, que faire ?
    Avant tout, rappelez-vous qu’il est possible d’aider à l’intérieur de nos frontières… Chacun peut participer au bien commun à sa manière et à son échelle, il n’est pas nécessaire d’avoir un visa et un billet d’avion en poche !


    * Participer à des actions citoyennes. Les choix politiques et économiques des gouvernements ou des organismes internationaux ne sont pas toujours bénéfiques aux peuples. Il faut le dire et agir pour que cela change. Des campagnes de pression peuvent peser sur les orientations politiques. On peu agir aussi pour que soit augmentée et mieux orientée l'aide au développement.


    * Soutenir des projets de développement, en partenariat avec des organisations qui agissent dans ce domaine. Pour construire une solidarité de peuple à peuple, pour travailler avec les associations locales, en rejoignant des ONG ou des organismes qui agissent déjà dans ce domaine. Ce qui évite les projets doublons et le manque de concertation !


    * Modifier nos modes de vie, nos choix de consommation. Acheter les produits alimentaires du commerce équitable mais aussi les produits locaux qui évitent l'utilisation de carburants pour transporter notre nourriture. Mettre des vêtements chauds au lieu de mettre le chauffage à fond en hiver. Economiser l'eau… L'accumulation de petits gestes peut changer bien des choses.


    Concernant les organismes… Si vous souhaitez faire du tourisme utile, n’hésitezsans titre pas à faire appel à des agences de voyage locales animées par de vrais professionnels du tourisme (être guide, c'est un métier !).  Pour les 2000 euros d’un forfait de volontouriste, vous pourrez même payer les services d'un guide local sérieux, loger dans des hôtels de catégorie moyenne, découvrir toute la variété de la gastronomie locale,.. et au final une grande partie de votre argent restera dans le pays visité ! Par contre, si vous souhaitez vraiment faire du volontariat sur le long terme, partez avec le secteur associatif qui connait les besoins locaux.

     

     

    Le mélange du volontariat et du tourisme n'est rien d'autre qu'un concept marketing attrayant offrant en réalité souvent ce qu’il y a de pire dans chacun des deux secteurs. Les organismes proposant des formules de voyages solidaires sont nombreux. D'une façon générale, il est sage de ne pas s'en tenir aux dépliants touristiques et aux offres alléchantes, mais de s'informer et de se poser les bonnes questions avant le départ. Les deux plus grosses associations (ou devrais-je dire business) françaises proposant ce type de « service », vous promettront ainsi, pour environ 2 000 €, de vivre une expérience incroyable… Payer pour aider, c’est un concept… Mais sachez que l’argent n’ira pas à la structure locale ou aux bénéficiaires. Il servira simplement à payer votre confort et l’organisation de la mission, qui aura de fortes chances de ressembler à un « camp UCPA humanitaire ».

    Exemple : Une de ces organisations s’est pointée en Haïti, après le séisme… Nous sommes en pleine période de crise. Plus de 300 000 morts. La capitale à 80% détruite. Des millions de personnes sans abri, sans travail et sans revenus. Les institutions ne fonctionnent plus. C’est une situation catastrophique. Et qui vois-je arriver ? Le coordinateur... Cheveux longs avec gel et frange, Ray Ban sur le nez, petit jean taille basse et marcel moulant un corps bronzé mais gringalet. Ma première question : « Que vient-il faire en pleine urgence ? Il s’est trompé de pays ? ». Loin de moi l’idée de critiquer une structure en me basant sur les choix vestimentaires d’un responsable ! Mais son attitude était révélatrice d’un énorme décalage par rapport à la réalité… Révélatrice aussi des failles d’une méthode de recrutement (marketing ?), en terme notamment de formation à l’interculturalité, à une façon d’être et de se comporter. Ce type de catastrophe naturelle demande de l’expérience, un savoir-faire, un savoir-être, et du personnel expérimenté. De nombreuses structures, arrivées après le séisme, n’ont fait que parasiter l’environnement. Parce que c’était l’actualité du moment, parce qu’il fallait être là, parce que c’était vendeur d’intervenir dans ce cadre surmédiatisé. Quitte à envoyer des amateurs là où l’ampleur de l’urgence nécessitait des gens expérimentés.

    Quant à l’autre… Vous voulez aller compter des tortues en voie de disparition sur une plage idyllique ? Pas de problème, pour 1 500 €, c’est possible ! Mission de vacances. Aucune compétence réclamée dans le domaine et peu d’encadrement sur place. Résultat : les tortues en question ne sont plus jamais revenues pondre leurs œufs sur certaines plages, à cause du dérangement occasionné. On imagine sans mal les fêtes sur le sable et les photos au flash postées directement sur Facebook ! Mais les jeunes volontaires pouvaient-ils en mesurer les conséquences ? Personne ne les a formés, et ils étaient là pour passer du bon temps en faisant une chose « utile ». Malheureusement, personne ne s’est donné la peine de les détromper.

    La meilleure approche si vous ne voulez pas que ce genre de choses vous arrive ? D’abord, se renseigner avant de partir car il est tellement plus simple d’accéder à l’information chez soi plutôt qu’en voyage ! Et ensuite, prendre sa décision une fois arrivé sur son lieu de VACANCES, après avoir rencontrés des acteurs de la solidarité internationale, d’autres volontouristes, des organisations, etc… Poser des questions, chercher l’information pour être sûr de ne pas faire n’importe quoi et pour éviter de s’engager dans une structure aux projets absurdes, simplement sous prétexte qu’ils savent vendre leurs « produits ». Autrement, il existe un cadre pour le volontariat, avec des compétences et des structures adaptées. Les missions encadrées peuvent aller de 6 mois à deux ans. Renseignez-vous ! En espérant que cet article pourra contribuer à vous faire choisir un mode d’action digne de votre volonté d’aider comme de ceux que vous voulez aider.

     

    « Le tourisme disneylandise ainsi le monde, transformant les lieux d'accueil en une succession de parcs à thème, où le touriste doit pouvoir retrouver un passé recréé ou préservé en toute sécurité. » (2)

     


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    Interview 

     

     

     





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